Tardigrades
Les '''tardigrades''' ('''Tardigrada''') ou '''oursons d'eau''' forment un embranchement du règne animal, proche des Arthropodes. Ils ont été décrits en premier par Johann August Ephraim Goeze en 1773<ref name="Goeze, 1773">Goeze, 1773 : ''Uber der Kleinen Wasserbär.'' Abhandlungen aus der Insectologie, Ubers. Usw, 2. Beobachtg, </ref>. Leur nom qui signifie « marcheur lent » est donné par Lazzaro Spallanzani en 1776<ref name="Spallanzani, 1777">Spallanzani, 1776 : Opuscoli di fisica animale, e vegetabile dell'abate Spallanzani 2. vol, 590p. & 277 p. Traduits de l'italien par Jean Senebier en 1777 : Opuscules de physique, animale et végétale. Augmentés de ses Expériences sur la digestion de l'homme & des animaux... On y a joint plusieurs lettres relatives à ces Opuscules écrites à
l'abbé Spallanzani par
Charles Bonnet & par d'autres naturalistes célèbres. 2 vol. 352 p. & 730 p.</ref>. Plus de
espèces sont connues à ce jour, vivant dans des milieux variés et parfois très rudes. Tardigrada est un taxon extrêmophile.
L'ourson d'eau mesure un peu plus de
en moyenne et il est le seul animal connu qui peut survivre dans l'environnement hostile du vide spatial<ref name="low-earth-orbit"/>. Il peut également résister à des températures proches du zéro absolu et bien au-dessus du point d’ébullition de l’eau (jusqu'à
<ref name="Futura"/>), il peut faire face à d’intenses pressions<ref name="Futura"/> et rayonnement<ref name=Hashimoto2016/>, peut vivre plus de 30 ans sans eau ni nourriture<ref name="Futura"/>. Fondamentalement, il est presque impossible de le tuer autrement qu'en l'écrasant.
Description
Les tardigrades ont un corps segmenté en quatre, protégé par une cuticule, et sont dotés de huit petites pattes non articulées terminées chacune par des griffes non rétractiles.
Leur taille adulte varie de à
de longueur selon les espèces. Les larves fraîchement pondues peuvent mesurer moins de
. Les femelles peuvent pondre de une à trente larves à la fois.
Les tardigrades vivent un peu partout sur la planète mais se trouvent en plus grand nombre dans les zones où on trouve de la mousse (comme les forêts et la toundra) car elle constitue, avec le lichen, leur aliment de prédilection. Ils peuvent aussi se nourrir de nématodes dont ils percent la cuticule avec leur trompe à stylet. En cas d'absence prolongée de nourriture, ils peuvent être amenés à devenir cannibales.
On en retrouve du haut de l'Himalaya (à plus de d'altitude) jusque dans les eaux profondes (par
de profondeur) et des régions polaires à l'équateur. Ils sont présents dans le sable, les mousses des toitures humides, sur des sédiments salins ou d'eau douce, où ils peuvent être très nombreux (jusqu'à
par litre).
Les tardigrades ont une durée de vie active comprise entre 12 et 24 mois pour les espèces aquatiques, et entre 15 et 30 mois pour les espèces terrestres. Cependant les tardigrades sont capables d'entrer en cryptobiose, ce qui leur permet de survivre beaucoup plus longtemps. C'est le cas des espèces enfouies depuis des millénaires dans les couches profondes de la banquise (au Groenland, notamment) et qui "reprennent vie" dès que l'on fait fondre, à température douce, la glace qui les enrobe.
Leur mode de reproduction reste peu connu, mais, en 2016, une étude, réalisée par le Musée d’Histoire Naturelle Senckenberg de Görlitz (Allemagne) a permis de mettre en évidence certains aspects de celle-ci<ref>J. Bingemer, K. Hohberg, R. O. Schill, ''First detailed observations on tardigrade mating behaviour and some aspects of the life history of Isohypsibius dastychi Pilato, Bertolani & Binda 1982 (Tardigrada, Isohypsibiidae)'', Zoological Journal of the Linnean Society, Volume 178, Issue 4, 2016. [http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/zoj.12435/full lire en ligne]</ref>. Les oeufs sont pondus par la femelle lorsque celle-ci mue. Ils sont alors mis à disposition au sein d'une couche externe de la peau. Le mâle intervient alors et s'enroule autour d'une extrémité de la femelle. Celle-ci stimule son abdomen jusqu'à obtenir son éjaculation. Cette dernière s'effectue au sein de la couche externe de la peau, afin de féconder les oeufs<ref>[http://www.sciencesetavenir.fr/animaux/l-accouplement-des-tardigrades-comment-ca-se-passe_108667 Scienceetavenir.fr]</ref>.
Physiologie
[[Fichier:Mikrofoto.de-baertierchen2.jpg|vignette|upright=1.3|Un tardigrade vu au microscope.]] thumb|upright=1.3|(A, b) Vues en microscopie électronique à balayage du tardigrade extrêmophile ''R. varieornatus'', hydraté (a) et à l'état déshydraté (b) qui est résistant à divers extrêmes physiques<ref name=Hashimoto2016/>. <br />Les barres d'échelle représentent 100 µm. <br />(C) Graphes présentant une classification du répertoire de gènes de R. varieornatus, en fonction de leurs origines [[taxonomiques putatives et selon la distribution des taxons mes mieux appariés pour les gènes putatifs HGT<ref name=Hashimoto2016/>.]]
Les tardigrades figurent parmi les animaux les plus résistants, capables d'endurer des contraintes extrêmes qui tueraient presque n'importe quelle autre forme de vie. Cela est notamment dû à leur possibilité d'entrer en cryptobiose : les tardigrades ont en effet la faculté d'entrer dans un état proche de la non-vie, durant lequel l'activité vitale devient presque indécelable en s'abaissant à 0,01 % de la normale. Le record en laboratoire est, jusqu'en 2015, de 9 ans passés dans un état de cryptobiose, après lesquels les tardigrades sont revenus à la vie<ref name="Sømme & Meier, 1995">.</ref>. En 2016, une publication scientifique japonaise annonce que deux tardigrades et un œuf sont réanimés après avoir passé 30,5 ans en cryptobiose, à la température de
<ref>[http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0011224015300134# M. Tsujimoto, ''Recovery and reproduction of an Antarctic tardigrade retrieved from a moss sample frozen for over 30 years'', revue ''Cryobiology'', 2015]</ref>.
Pour entrer en cryptobiose, ils rétractent leurs huit pattes et déshydratent presque complètement leur organisme (perte de plus de 99 % de leur eau), remplaçant l'eau à l'intérieur de leurs cellules par un sucre non réducteur, le tréhalose, qu'ils synthétisent. Ce sucre se comporte comme une sorte d'antigel et préserve les structures cellulaires. Pour compléter la protection, ils s'entourent d'une petite boule de cire microscopique appelée ''tonnelet''<ref group=alpha>Forme ressemblant à un petit tonneau.</ref>. Lors du retour à des conditions dites normales, l'ourson d'eau redevient actif en une durée qui va de quelques minutes à quelques heures.
- '''Vide''' : il peut survivre dans le vide spatial<ref name="low-earth-orbit">
</ref>.
- '''Rayonnements''' : les tardigrades ont une très forte résistance aux rayonnements (rayons X ou ultraviolets<ref name="Futura">Jean-Luc Goudet, « [http://www.futura-sciences.com/fr/news/t/zoologie/d/le-mystere-des-tardigrades-ces-animaux-qui-resistent-au-vide-spatial_16608/ Le mystère des tardigrades, ces animaux qui résistent au vide spatial] » sur ''Futura-sciences.com'', 9 septembre 2008.</ref>) ― plus de
fois ce que l'homme peut endurer. En 2016 Takekazu Kunieda (biologiste moléculaire de l'Université de Tokyo) a conclu d'une étude de ''Ramazzottius varieornatus'' que cette tolérance aux rayons X ionisants est un sous-produit de l'adaptation du tardigrade à une déshydratation sévère. Une forte déshydratation détruit normalement les tissus mous et peut même déchirer l'ADN (tout comme les rayons X le peuvent)<ref name=Hashimoto2016>Hashimoto, T. et al.(2016), [http://www.nature.com/ncomms/2016/160920/ncomms12808/full/ncomms12808.html Extremotolerant tardigrade genome and improved radiotolerance of human cultured cells by tardigrade-unique protein], Nature Commun. http://dx.doi.org/10.1038/ncomms12808 (2016).(article sous licence cc-by-sa 4.0) </ref>. Une des protéines (dite ''Dsup'') qui protègent le tardigrade de cette déshydratation le protège aussi contre les rayons X, et elle semblerait pouvoir protéger (à hauteur de 40%) des cellules humaines exposées aux rayons X, ce qui pourrait par exemple être utile lors de traitement de radiothérapie ou en cas de voyage dans l'espace.
- '''Produits toxiques''' : selon des résultats de laboratoire qui restent à confirmer, les tardigrades présenteraient également une exceptionnelle résistance à de nombreux produits toxiques, grâce à une réponse immunitaire appelée « chimiobiose »<ref name="Franceschi 1948 47–49">
.</ref>
<ref name="Jönsson & Bertolani 2001 121–123">
.</ref>.
- '''Déshydratation''' : les tardigrades ont une extrême tolérance à la dessiccation<ref name="Futura" />, ce qui leur permet de coloniser les déserts les plus secs : ils peuvent faire varier la proportion d'eau dans leur corps de plus de 80 % à moins de 3 %. En cas d'absence totale et prolongée d'eau, ils peuvent survivre plus de 10 ans en cryptobiose sans la moindre trace d'eau, et reprendre leur activité quand ils sont réhydratés.
- '''Pression''' : les mécanismes de protection des tardigrades leur permettent de survivre dans des conditions extrêmes comme le vide presque absolu, mais aussi sous de très hautes pressions, jusqu'à
. En 2007, des tardigrades ont été exposés au vide spatial en même temps qu'aux radiations solaires directes par la mission ''FOTON-M3'', en orbite autour de la Terre<ref name="Futura" />, et plusieurs ont survécu.
- '''Température''' : les tardigrades figurent parmi les rares animaux non homéothermes à pouvoir poursuivre leur activité par des températures très en-dessous de
, notamment sur (et parfois dans) les glaces de l'Himalaya et du Groenland. Ils peuvent même survivre plusieurs jours à des températures proches du zéro absolu, à
(
). Leur résistance est également exceptionnelle dans de hautes chaleurs : ils peuvent survivre plusieurs minutes à
<ref name="Futura" />.
- '''Salinité''' : ils résistent à des salinités extrêmes soit en formant un tonnelet imperméable aux sels, soit par osmobiose.
- '''Manque d'oxygène''' : en cas d'asphyxie due au manque d'oxygène, les tardigrades entrent dans un état spécifique méconnu appelé anoxybiose. Cette asphyxie a pour conséquence l’arrêt du système d’osmorégulation du tardigrade, qui ne peut pas fonctionner sans oxygène, et qui lui permet de contrôler la quantité d’eau et de sels minéraux dans son organisme. Ainsi, le tardigrade va gonfler, ne pouvant éliminer l’eau en excès présente dans son organisme, mais il va réussir à survivre en anaérobiose, c’est-à-dire en l’absence d’oxygène. Cet état est passager et ne peut pas durer plus de 5 jours, sans quoi l’individu meurt à cause de l’accumulation des déchets et des substances toxiques qu’il ne peut éliminer, dans son organisme.
Classification
[[Fichier:Wormandwaterbear.jpg|vignette|''[[Hypsibius dujardini]]'' et ''Caenorhabditis elegans'']]
Selon Degma, Bertolani et Guidetti, 2016<ref name="Degma, Bertolani & Guidetti, 2016">Degma, Bertolani & Guidetti, 2016 : ''Actual checklist of Tardigrada species'' (2009-2016, Ver. 31, 15-12-2016) ([http://www.tardigrada.modena.unimo.it/miscellanea/Actual%20checklist%20of%20Tardigrada.pdf texte intégral])</ref><ref>Guidetti, & Bertolani, 2005 : ''Tardigrade taxonomy: an updated check list of the taxa and a list of characters for their identification.'' Zootaxa,
,
.</ref>
<ref>*Degma, & Guidetti, 2007 : ''Notes to the current checklist of Tardigrada.'' Zootaxa,
,
</ref> :
- classe Heterotardigrada Marcus, 1927
- ordre Arthrotardigrada Marcus, 1927
- famille Archechiniscidae Binda, 1978
- famille Batillipedidae Ramazzotti, 1962
- famille Coronarctidae Renaud-Mornant, 1974
- famille Halechiniscidae Thulin, 1928
- famille Neoarctidae Grimaldi de Zio, D'Addabbo Gallo & Morone De Lucia, 1992
- famille Renaudarctidae Kristensen & Higgins, 1984
- famille Stygarctidae Schulz, 1951
- famille Styraconixidae Kristensen & Renaud-Mornant, 1983
- famille Tanarctidae Renaud-Mornant, 1980
- ordre Echiniscoidea Richters, 1926
- famille Echiniscoididae Kristensen & Hallas, 1980
- famille Carphaniidae Binda & Kristensen, 1986
- famille Oreellidae Puglia, 1959
- famille Echiniscidae Thulin, 1928
- ordre Arthrotardigrada Marcus, 1927
- classe Mesotardigrada Rahm, 1937
- ordre Thermozodia Ramazzotti & Maucci, 1983
- famille Thermozodiidae Rahm, 1937
- ordre Thermozodia Ramazzotti & Maucci, 1983
- classe Eutardigrada Richters 1926
- ordre Apochela Schuster, Nelson, Grigarick & Christenberry, 1980
- famille Milnesiidae Ramazzotti, 1962
- ordre Parachela Schuster, Nelson Grigarick & Christenberry, 1980
- super-famille Eohypsibioidea Bertolani & Kristensen, 1987
- famille Eohypsibiidae Bertolani & Kristensen, 1987
- super-famille Hypsibioidea Pilato, 1969
- famille Calohypsibiidae Pilato, 1969
- famille Hypsibiidae Pilato, 1969
- famille Microhypsibiidae Pilato, 1998
- famille Ramazzottidae Marley, McInnes & Sands, 2011
- super-famille Isohypsibioidea Marley, McInnes & Sands, 2011
- famille Hexapodibiidae Cesari, Vecchi, Palmer, Bertolani, Pilato, Rebecchi & Guidetti, 2016
- famille Isohypsibiidae Marley, McInnes & Sands, 2011
- super-famille Macrobiotoidea Thulin, 1928
- famille Macrobiotidae Thulin, 1928
- famille Murrayidae Guidetti, Gandolfi, Rossi & Bertolani, 2005
- famille Richtersiidae Guidetti, Rebecchi, Bertolani, Jönsson, Kristensen & Cesari, 2016
- super-famille indéterminée
- famille †Beornidae Cooper, 1964
- famille Necopinatidae Ramazzotti & Maucci, 1983
- super-famille Eohypsibioidea Bertolani & Kristensen, 1987
- ordre Apochela Schuster, Nelson, Grigarick & Christenberry, 1980
<gallery style="text-align:center;" mode="packed"> Fichier:SEM image of Milnesium tardigradum in active state - journal.pone.0045682.g001-2.png|''Milnesium tardigradum'' (Milnesiidae) Fichier:Beorn leggi.jpg|''Beorn leggi'' (Beornidae) Fichier:Adult tardigrade.jpg|''Hypsibius dujardini'' (Hypsibiidae) Fichier:Minibiotus formosus.jpg|''Minibiotus formosus'' (Macrobiotidae) Fichier:Echiniscus L.png|''Echiniscus sp.'' (Echiniscidae) </gallery>
Publication originale
- Spallanzani, 1777 : Opuscules de physique, animale et végétale. Augmentés de ses Expériences sur la digestion de l'homme & des animaux, traduits de l'italien par Jean Senebier... On y a joint plusieurs lettres relatives à ces Opuscules écrites à Mr. l'abbé Spallanzani par Mr. Charles Bonnet & par d'autres naturalistes célèbres. 2 vol. 352 p. & 730 p.
Notes et références
Notes
Références
Voir aussi
Références taxinomiques
Bibliographie
.
Articles connexes
Liens externes
- [http://tardigrades.bio.unc.edu/ Films et images du tardigrade ''Hypsibius dujardini'']
- [http://www.tardigrada.net/ Tardigrada Newsletter]
.
[[Catégorie:Tardigrade|*]] Catégorie:Embranchement d'animaux (nom scientifique)
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